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27/06/2016

Stefan Zweig : Nouvelle du jeu d’échecs

stefan zweigStefan Zweig, né en 1881 à Vienne, en Autriche-Hongrie, et mort par suicide le 22 février 1942 à Petrópolis au Brésil, est un écrivain, dramaturge, journaliste et biographe autrichien. Stefan Zweig fit partie de l'intelligentsia juive viennoise, avant de quitter son pays natal en 1934 en raison de la montée du nazisme. Réfugié à Londres, il y poursuit une œuvre de biographe (Joseph Fouché, Marie Antoinette, Marie Stuart) et surtout d'auteur de romans et nouvelles.

Publiée à titre posthume en 1943, Stefan Zweig écrivit cette nouvelle durant les derniers mois de sa vie, de septembre 1941 à son suicide en février 1942. La première traduction française est parue en Suisse en 1944.

Embarqué sur un paquebot reliant New York à Buenos Aires, le narrateur – peut-être Stefan Zweig lui-même – va être mêlé en tant que témoin mais aussi acteur indirect, à une partie d’échecs entre le champion du monde en titre et un inconnu.

Le texte suit un découpage classique mais efficace, éveil de la curiosité du narrateur (et du lecteur par ricochet) apprenant que le champion du monde des échecs, Mirko Czentovic, est à bord ; introduction d’un personnage secondaire fort en gueule et fortuné, McConnor, ingénieur en mines Ecossais qui va manœuvrer pour affronter le champion ; entrée mystérieuse du docteur B., qui semble particulièrement doué pour les échecs ; « combat » final entre Czentovic et le docteur B.

L’écrivain dresse le portrait de ses deux acteurs principaux. Czentovic, une vingtaine d’années, orphelin d’origine rurale, inculte pour ne pas dire attardé mental, s’avère doué pour les échecs, une sorte de don inné. Encouragé et soutenu par des protecteurs il finit par obtenir le titre suprême. D’un caractère renfrogné, voire secret, mais pas si bête puisque se sachant très limité intellectuellement, il ne discute avec personne, excepté avec les gens de son milieu social modeste. Il ne joue que contre de l’argent et la partie impromptue sur le navire ne se fera que contre rétribution.

Face à cet être fruste, le docteur B. est d’un autre calibre comme il va le révéler au narrateur. Avocat en Autriche, il dissimula longtemps de fortes sommes aux nazis qui finirent par l’emprisonner en utilisant une manière « douce », la solitude dans une chambre d’hôtel, sans papier ni crayon ni bouquins,  en espérant le casser psychologiquement afin qu’il crache ses secrets aux membres de la Gestapo. Alors qu’il commence à sombrer et perdre l’esprit, il réussit à voler un livre – un manuel d’apprentissage des échecs – et secrètement il va le potasser, jour après jour, sans relâche et s’en imprégner, au point de tomber dans une autre folie, celle de ce jeu. Libéré, un médecin lui interdira formellement de jouer aux échecs sous peine de conséquences graves pour sa santé mentale.  Zweig s’accorde des facilités (le vol du livre, la libération de B.) mais ce n’est pas bien grave et il faut bien caser tout cela dans le cadre étroit d’une simple nouvelle…

Le texte se termine sur la partie entre Czentovic et le docteur B. Affrontement entre deux écoles, deux manières d’appréhender les échecs et seule possibilité pour le docteur de confronter enfin, ses connaissances théoriques avec la pratique de son adversaire. Mais il y a cette épée de Damoclès au-dessus de la tête du docteur B. qui ne devrait pas céder à cette tentation du jeu…

Une fois encore Stefan Zweig me sauve. Je me sentais patraque ces derniers jours – en tant que lecteur – il me fallait un remontant, c'est-à-dire dans mon cas, un écrivain au talent classique, qui me régalerait par son écriture et le contenu de son livre. Une seule solution, dénicher dans ma pharmacopée littéraire une œuvre de Zweig, un remède qui soulage et apaise à tous les coups.

 

« C’est alors seulement que je me rendis compte à quel point ce système de la chambre d’hôtel était diaboliquement pensé, psychologiquement meurtrier. En camp de concentration, on aurait peut-être dû charrier des pierres jusqu’à en avoir les mains en sang et les pieds gelés dans ses chaussures, on aurait été entassé avec deux douzaines d’hommes dans la puanteur et le froid. Mais on aurait vu des visages, on aurait pu fixer son regard sur un champ, une brouette, un arbre, une étoile, n’importe quoi mais quelque chose, tandis qu’ici l’on était toujours entouré des mêmes objets, de l’identique, de l’affreux identique. Il n’y avait rien là qui pût me détourner de mes pensées, de mes idées délirantes, de mes récapitulations morbides. Et c’est précisément cela qu’ils visaient – que j’avale et ravale mes pensées jusqu’à ce qu’elles m’étouffent et que je ne puisse faire autrement que de les vomir enfin, de parler, de dire tout ce qu’ils voulaient, de livrer enfin les renseignements et les personnes. »

 

 

stefan zweigStefan Zweig  Nouvelle du jeu d’échecs  La Pléiade  Romans, Nouvelles et Récits Tome 2 – 51 pages -

Traduction par Bernard Lortholary

 

07:45 Publié dans NOUVELLES | Tags : stefan zweig | Lien permanent | Commentaires (4) |  Facebook |