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Roger Vailland : Drôle de jeu
Roger Vailland, écrivain français (1907-1965) fondateur d’une revue surréaliste (Le Grand Jeu), il s’affirma dans ses romans (Drôle de jeu, La Loi) et son théâtre comme un moraliste ironique. Son roman Drôle de jeu paru en 1945 a reçu le Prix Interallié la même année.
Le bouquin se déroule dans le Paris de l’occupation et nous décrit la vie quotidienne d’un tout petit groupe de jeunes résistants. Marat, pseudonyme de François Lamballe, 36 ans, le narrateur et chef de groupe, Rodrigue un romantique de 21 ans et Frédéric un quasi gamin, « il est puceau ». Côté féminin, Chloé et Annie, mais dans leur mouvance il y a aussi Mathilde « une grande brune un peu mûre », une ex de Marat, jolie femme vénéneuse aux relations troubles avec des officiers allemands et des collabos, qui amènera le drame.
Roger Vailland, résistant lui-même, connaît parfaitement les arcanes de cette vie dans l’ombre, les rendez-vous secrets, le cloisonnement entre les membres d’un groupe pour en assurer la sécurité maximum, les messages et les rapports transmis aux instances supérieures, les pseudonymes et les logements anonymes, toute une culture du secret et de la clandestinité.
Paris est occupé, la population souffre des restrictions alimentaires, mais des adresses connues des initiés seuls permettent de dîner aussi bien ou presque qu’avant guerre si on en a les moyens, s’y croisent mouchards, femmes vénales, occupants et résistants. Marat, sorte de dandy libertin toujours à l’aise, s’y faufile avec souplesse et y mène comme les autres, un drôle de jeu où se mêlent cyniquement la mort et la séduction amoureuse.
Le roman est divisé en cinq chapitres, cinq journées non consécutives. Le rythme est enlevé, il est même léger si on considère le sujet, la lecture rapide. Aux évènements de la journée racontés par Marat, s’intercalent ses pensées ou des extraits de son journal, l’occasion pour Vailland de distiller des réflexions politiques (« Le révolutionnaire est celui qui ne se résigne pas au malheur de l’homme ») ou psychologiques et surtout des méditations sur les grands thèmes de nos existences, la vie/la mort, l’amour.
« Oui, tout ce jeu que vous faites semblant, les uns et les autres, de prendre au sérieux… Car enfin, vous jouez… j’imagine que vous, vous êtes assez cynique pour l’avouer… en petit comité… le curé joue au chef de bande : le Roi des Montagnes, Edmond About lui a tourné la tête, il choisit mal ses auteurs… poser des bombes au clair de lune, faire dérailler un train, c’est évidemment un jeu passionnant… même pour un curé. Frédéric s’excite d’une autre manière : il joue à la Révolution, c’est lui l’Incorruptible, il s’imagine Robespierre comme les gosses s’imaginent chauffeurs de locomotives ; en fin de compte il joue au même jeu que le curé, tous les jeux de garçons se ressemblent, il s’agit de bousiller le canapé du salon, le train de von X… ou le monde bourgeois. »
Roger Vailland Drôle de jeu Le Livre de Poche
17/10/2012 | Lien permanent
Josef Winkler : Langue maternelle
Au dos du livre l’éditeur précise « Paru en 1982, Langue Maternelle reste à ce jour le plus symphonique des livres de Josef Winkler : une symphonie où les principaux thèmes devenus familiers à ses lecteurs (le sexe, la mort et les rituels funéraires, la souffrance animale, le poids de la culpabilité que le catholicisme fait peser sur les hommes) atteignent, par la vertu incantatoire de l’écriture, à une intensité proche de l’hallucination. »
Je ne pensais pas en lisant ces lignes que cette introduction devait se comprendre comme une mise en garde du type « Lecteur toi qui ouvre ce livre prend garde à toi » car après trois pages j’ai failli abandonner ma lecture. Tout le livre n’est qu’une suite de phrases sans chapitres, ni paragraphes pour la forme. Quant au fond, la réalité biographique, les fantasmes liés aux thèmes annoncés ci-dessus rendent certains passages écoeurants ou répugnants, au « mieux » pénibles. Cruauté et tendresse se mêlent en une prière où l’auteur cherche désespérément une protection. Tous ces déballages de perversions et de liquides corporels coulant d’entre les pages constituent néanmoins et à mon grand étonnement cette symphonie annoncée qui m’a poussé contre ma volonté propre à poursuivre la lecture de ce livre, envoûté par ce style peu ragoûtant.
Si le but de la littérature est de nous faire ressentir des émotions (agréables ou pas), ce roman peut s’inscrire parmi les grandes œuvres littéraires. D’ailleurs Josef Winkler écrivain Autrichien a été primé de nombreuses fois, recevant le prix Alfred Döblin et l’année dernière le prix Büchner, le Goncourt Allemand. Un grand livre ou une grosse merde, tout dépendra de votre implication dans sa lecture, tout le contraire d’un roman de gare. Vous êtes prévenus.
« Hier le sapin s’est agenouillé devant moi, il a croisé ses branches et s’est mis à prier. Je me suis emparé d’une hache et j’ai coupé les branches qui m’adressaient leurs prières. Quand commencerons-nous enfin à dresser dans les forêts d’épicéas les bustes de bûcherons décédés. Un enfant buvant du sang de cigogne. Cette nuit en rêve, j’ai donné un baiser à Judas, qui a trahi Jésus. Un nain n’arrive pas à la cheville d’un géant, le David de la Bible aurait pu le prouver. L’infirme parlait avec une telle exaltation de la beauté de sa femme que je voulus être infirme moi-même afin de pouvoir aimer une belle femme. »
Josef Winkler Langue maternelle chez Verdier
17/10/2012 | Lien permanent
Daniel Janneau : Le Rire est la source des larmes
Daniel Janneau, né en 1961, a été assistant réalisateur avant de coécrire et de réaliser son premier film Le débutant en 1986. Puis c’est pour la télévision qu’il travaille en tournant des épisodes de séries comme Julie Lescaut ou Famille d’accueil ainsi que des téléfilms. En 2013, il sort son premier roman It ‘s only rock’n’roll, après avoir écrit un conte musical pour enfants La sensible. Son dernier ouvrage, Le Rire est la source des larmes, vient de paraître.
En 1613 le baron Amédée Foucher se voit confier par la régente Marie de Médicis une mission de taille, organiser le plus grand spectacle pyrotechnique pour le mariage du jeune roi Louis XIII. Comme il ne sait rien de cet art il décide de s’y former au pays inventeur du feu d’artifice, la Chine. Accompagné par le comte Gaspar de Porcel, son oncle âgé, mais qui connait déjà la Chine, le jeune homme part au bout du monde.
Les Editions Michalon m’ont offert spontanément deux bouquins consécutivement, je les remercie pour ce geste mais par pitié, arrêtons-là les frais ! Je ne suis pas votre public, ce second ouvrage le confirme. Je reconnais qu’il n’est pas nul comme le précédent mais enfin… je ne sais pas quoi en dire. Par contre je sais ce qu’il n’est pas : il n’est pas trop mal écrit certes mais il ne passionne pas du tout alors que se présentant comme un roman d’aventures c’est là-dessus que le lecteur table.
En vérité il n’a qu’un seul défaut, il est beaucoup trop « gentil » dans le sens ironique de l’antiphrase. Quand on lit un bouquin sensé mêler des péripéties à la Dumas et Marco Polo, on espère en ressortir avec les cheveux en bataille, du sable du désert dans les plis des vêtements, des écorchures aux bras et des souvenirs émus de femmes aux peaux satinées. Ici tout est fade, gentillet, aseptisé, inodore et incolore, un comble pour un tel périple.
Un roman qui se lit mais un roman d’aventures et d’amour au pays des Bisounours pour un certain public qui a bien le droit de s’en régaler mais dont je ne fais pas partie. Quant à la quatrième de couverture… je vous épargne les hurlements d’indignation qu’elle suscite chez moi !
« Le temps passait. Amédée avait le sentiment de s’installer dans une vie de province étale, entre un oncle très paternel et une cousine qui aiguisait ses sens. Voilà maintenant trois semaines qu’il était arrivé. Parfois le vent soufflait en rafale avec grande violence et cela pouvait durer des jours. Le comte ne changeait rien à ses habitudes. Le mistral avait beau ployer les arbres, il partait l’après-midi rendre visite à ses taureaux avant d’aller patauger dans les rizières. Amédée s’énervait. Si le comte était incapable de prendre de prendre une décision, lui la prendrait. IL partirait seul. Seul, il traverserait les mers. Seul, il se rendrait au bout du monde. Seul, il triompherait de l’adversité. Et seul, deviendrait le grand artificier du roi. »
Daniel Janneau Le Rire est la source des larmes Editions Michalon – 266 pages –
09/03/2015 | Lien permanent
Le Furet du Nord à Lille
Si j’avançais que Le Furet du Nord est la librairie la plus connue de France, serais-je dans l’erreur ?
Le Furet est au cœur de Lille, sur la Grand-Place depuis 1959. Son origine remonte néanmoins à 1936 où un magasin de fourrures de quelques dizaines de mètres carrés, situé rue de la Vieille-Comédie, est transformé en librairie par Georges Poulard, un proviseur de lycée. Bien que les deux activités n’aient aucun rapport entre elles, il décide de conserver le même nom.
En 1947, il emploie Paul Callens, comme premier vendeur. Paul Callens était un passionné de livre et de lecture, même s'il venait d'une famille où le père, boucher-charcutier à Tourcoing, ne s'adonnait pas et ne comprenait pas cette passion. Non satisfait de sa situation de vendeur et de la taille de la boutique, Paul avait en tête de lui racheter sa boutique, mais il n'avait pas l'argent pour le faire. En 1950, après avoir discuté et expliqué son projet à sa laitière et amie, Florence, celle-ci remonte de sa cave avec une boîte en fer blanc renfermant un paquet enroulé dans du papier journal contenant ses économies et suffisamment pour acheter la librairie. Ce que Paul fit le lendemain !
Tandis qu'il est au café, il entend que les Galeries Barbès allaient fermer et quitter leur magasin situé place du Général-de-Gaulle. Il eut alors l'idée de s'installer à leur place. L'emplacement avait d'autres prétendants comme l'entreprise Renault qui voulait y installer une concession. Paul Callens décida donc de se rendre, pour sa première fois, à Paris, à la direction des Galeries Barbès. L'homme explique son projet, convainc et installe son entreprise le 1er août 1959 sur la Grand-Place de Lille sur 200 puis 600 m2. Le Furet devient la première librairie en libre-service et installe en 1963 le premier rayon livres de poche de France dans sa cave. En 1960 commencent les désormais traditionnelles dédicaces. En 1969, la façade est modifiée. Les travaux enlèvent les parties du XIXe siècle pour la restituer en son style original du XVIIIe siècle.
En 1982, l'entreprise familiale de Paul Callens devient une société anonyme et commence à ouvrir d'autres magasins dans la région. La surface du Furet de Lille est agrandie en 1982 puis 1992 passant ainsi de 500 à 4 000 puis 7 000 m2. Par la suite la société passera par différents statuts juridiques avec achat et revente à des repreneurs mais je vous fais grâce de ces détails.
Elle accueille aujourd'hui en moyenne 12 000 visiteurs quotidiens. En 1996, le Furet met en place la première librairie sur Internet. Le site propose aujourd'hui 350 000 références francophones. Le 15 octobre 2009, le Furet a lancé son site de vente en ligne et se lance dans la distribution de livre sur le Web (plus d'un million de livres).
Le magasin de Lille est considéré comme la plus grande librairie d’Europe et le groupe compte aujourd’hui 17 magasins en France.
Photos : Le Bouquineur Sources : le site internet de la librairie – Wikipédia -
29/12/2016 | Lien permanent | Commentaires (4)
Ludmila Oulitskaïa : Le Chapiteau vert
Ludmila Oulitskaïa est née en 1943, dans l'Oural. Elle a grandi à Moscou et fait des études de biologie à l'université. Auteur de nombreuses pièces de théâtre et scénarios de films, depuis le début des années 1980 elle se consacre exclusivement à la littérature après que ses premiers récits soient parus à Moscou, dans des revues. Son dernier roman, Le Chapiteau vert, paru en 2014, vient d’être réédité en poche.
Le livre est une vaste fresque historique couvrant l’histoire de la Russie entre 1953 et 1996 à travers trois personnages, Ilya, Sania et Micha, trois camarades d’école au début du roman qui coïncide avec la mort de Staline, pour s’achever l’année du décès du poète Joseph Brodsky. Ilya est un grand maigre amateur de photo, Sania avec des « cils de demoiselle » est musicien et Micha tient le rôle du rouquin juif. Dans cette société Soviétique en pleine reconstruction, riche en turbulences dangereuses, un homme va avoir un rôle essentiel dans l’avenir de ces trois-là, Victor Iouliévitch, leur professeur de lettres (on ne peut s’empêcher de vaguement penser au film, Le Cercle des poètes disparus) qui « les emmenait hors d’une époque misérable et malade, les transportant dans un univers où fonctionnait la pensée, où vivait la liberté, la musique et les arts de toutes sortes. »
Le roman est dense comme on l’imagine aisément, quarante ans d’histoire, qui plus est lorsqu’il s’agit de ce pays, il y a à dire. Se mêleront au récit, les vies personnelles et sentimentales des uns et des autres, l’histoire avec un grand « H » qui passera par le samizdat (système clandestin de circulation d’écrits dissidents en URSS et dans les pays du bloc de l'Est, manuscrits ou dactylographiés par les nombreux membres de ce réseau informel) et la déportation en camp, l’exil en Amérique et le retour en Europe etc. En fil rouge, la littérature toujours présente par ses grands écrivains russes ou pas.
Objectivement, je ne peux faire aucune critique négative de ce livre, Ludmila Oulitskaïa est un très bon écrivain, le bouquin est très réussi techniquement parlant, son propos puissant (dénonciation du totalitarisme) mais… comment dire… ça ne m’a pas enthousiasmé plus que cela. D’abord c’est beaucoup trop long pour mes goûts personnels et enfin, au risque de vous faire hurler, il s’agit d’un nième roman sur le totalitarisme, un de plus dirai-je, ce à quoi vous me répondrez justement, qu’il n’y en a jamais assez quand on dénonce le Mal. Ce n’est pas faux.
« Si des copies du rapport Khrouchtchev circulaient dans Moscou, l’heure du manuscrit du Docteur Jivago n’avait pas encore sonné. En revanche, les poèmes tirés du roman étaient déjà en circulation. « C’est bizarre ! songea Victor Iouliévitch. On se passe de main en main des poèmes recopiés, comme du temps de Pouchkine. Quels changements ! Pour un peu, ils vont arrêter de mettre les gens en prison ! » Le peuple tétanisé par la peur revenait à la vie, il chuchotait avec plus d’audace, il captait les voix « ennemies », tapait à la machine, recopiait, reproduisait. Le samizdat commença à se répandre à travers le pays. »
Ludmila Oulitskaïa Le Chapiteau vert Folio – 766 pages –
Traduit du russe par Sophie Benech
26/11/2016 | Lien permanent | Commentaires (4)
Hergé : Tintin au pays des Soviets
Georges Remi (dit Hergé, pseudo formé à partir des initiales « R » de son nom et « G » de son prénom) né le 22 mai 1907 à Etterbeek et mort le 3 mars 1983 à Woluwe-Saint-Lambert, est un auteur belge de bande dessinée internationalement connu pour Les Aventures de Tintin.
Celles-ci débutent le 10 janvier 1929 dans un supplément du journal destiné à la jeunesse, Le Petit Vingtième. Hergé, qui est l'un des premiers auteurs francophones à reprendre le style américain de la bande dessinée à bulles, est souvent considéré comme « le père de la bande dessinée européenne. » Tintin au pays des Soviets résulte du choix de sa direction, profondément anticommuniste, d'envoyer Tintin en Russie soviétique, mais ne pouvant se rendre sur les lieux de pérégrination de son personnage, Hergé s'inspire pour son histoire d'une source unique : le livre Moscou sans voiles, paru sous la plume de Joseph Douillet en 1928.
L’album en Noir & Blanc à l’origine, vient de reparaître colorisé et bénéficie d’une large promotion marketing, dans la foulée de la très belle et complète exposition consacrée à Hergé au Grand Palais à Paris. A l’achat, le magasin vous offre l’album dans un sac dédié, futur objet collector très certainement.
Qu’on ne se méprenne pas, Tintin au pays des Soviets est loin d’être un chef-d’œuvre et s’il en est qui n’ont jamais lu d’album du reporter à houppette, ce n’est pas avec celui-ci qu’il faudra commencer au risque d’être bien déçu. Cette première aventure n’est qu’un brouillon de piètre qualité. Techniquement parlant, le dessin est grossier, le lettrage affreux ; Tintin n’est encore qu’une ébauche, un personnage en gestation, dans certaines cases il est quasi méconnaissable, l’horrible étant atteint en bas de la page 29, où il ressemble à un travesti la bouche en cœur…
La pagination extravagante de l’album (137 pages quand d’habitude il n’y en a que 62) s’explique par la taille monstrueuse des cases. Enfin, le scénario est franchement épouvantable, enchainant des séquences abracadabrantes.
Je peux critiquer car je suis un grand fan des aventures de Tintin, certainement mon héros de bande dessinée préféré – le premier lu, ceci expliquant cela. En conséquence je prends cet album comme un « document » à valeur historique dans l’œuvre d’Hergé et c’est en cela, mais seulement ainsi qu’il est important.
Quant à la colorisation, la nouveauté de cette édition, je n’en pense pas grand-chose en vérité ! Le Noir & Blanc avait un avantage, il assurait une certaine cohésion à l’ensemble, un dessin laid et épais dans deux couleurs lui allant bien au teint. La couleur, ici, adoucit l’ensemble mais à mon avis, fait ressortir les faiblesses du dessin… alors ?
Hergé Tintin au pays des Soviets Casterman – 137 pages -
14/01/2017 | Lien permanent
Aki Shimazaki : Hamaguri
Aki Shimazaki est une écrivaine québécoise, née en 1954 à Gifu au Japon. Immigrée au Canada en 1981 elle vit à Montréal depuis 1991. Elle a d'abord travaillé au Japon pendant cinq ans comme enseignante d'une école maternelle et a également donné des leçons de grammaire anglaise dans une école du soir. A partir de 1991, elle s'installe à Montréal où, en plus de son activité littéraire, elle enseigne le japonais. Ce n'est qu'en 1995, à l'âge de 40 ans, qu'elle commence à apprendre le français tant par elle-même que dans une école de langue.
Une quinzaine de romans à son actif à ce jour, Hamaguri paru en 2000, est le second volet (sur cinq) du cycle Au cœur du Yamato, mais peut se lire indépendamment.
Yukio, le narrateur, a quatre ans quand débute le roman. Il vit avec sa mère célibataire. Il n’a qu’un ami, en fait une amie, ELLE (nous n’en saurons pas plus) et les deux petits enfants promettent de s’épouser plus tard quand ils seront grands. Serment concrétisé par un billet à leurs deux noms placé dans une palourde (Hamaguri). Ils seront séparés par la vie et l’Histoire, la guerre et le bombardement de Nagasaki en 1945. Bien, bien plus tard, après de nombreuses épreuves, à la retraite, Yukio marié et père de grands enfants vivant leur vie, loge sa vieille mère qui aux derniers instants de sa vie va lui révéler un terrible secret concernant son amour de jeunesse inoublié…
Voilà typiquement le genre de roman dont on ne peut dire grand-chose d’autre que magnifique !
Une centaine de page pour raconter une vie entière, Aki Shimazaki marie le lent et le rapide. La lenteur, par le rythme et l’écriture mais aussi la vitesse, puisque la chronologie fait défiler cinquante années en si peu de pages. Tout le livre joue sur les sentiments, amours enfantines, adolescentes mais aussi sur la quête d’identité, père biologique inconnu et demi-sœur dont Yukio cherchera toute sa vie à en savoir plus. Les déceptions sociales, dans le Japon d’alors on n’épouse pas qui l’on aime, la notion de rang social doit être respecté, vos parents vous le font savoir.
La littérature est un fleuve dans lequel, parfois, on recueille de la poussière d’or.
« Je me demande : « Où est ma petite sœur ? Où est mon vrai père ? Sont-ils encore vivants ? » Ces questions me reviennent, sans cesse. Je ne me rappelle plus leur visage. Je ne sais toujours pas leur nom. Ma mère est la seule personne qui puisse répondre à mes questions. Pourtant, elle garde le silence même maintenant que mon père adoptif est mort depuis treize ans. (…) Mon regard se perd dans le miroir. Ma conscience s’éloigne. »
Aki Shimazaki Hamaguri Leméac/Actes Sud – 109 pages –
12/07/2019 | Lien permanent | Commentaires (1)
Ludmila Oulitskaïa : La Soupe d’orge perlé
Ludmila Oulitskaïa est née en 1943, dans l'Oural. Elle a grandi à Moscou et fait des études de biologie à l'université. Auteur de nombreuses pièces de théâtre et scénarios de films, depuis le début des années 1980 elle se consacre exclusivement à la littérature après que ses premiers récits soient parus à Moscou, dans des revues.
Ce tout petit livre qui vient de paraître dans une collection de poche à prix réduit reprend trois nouvelles (Le 2 mars de cette année-là, La varicelle et La soupe d’orge perlé extraites du recueil Un si bel amour et autres nouvelles (2001). Le point commun à ces trois textes, l’enfance, puisque chacun d’eux a pour personnage principal une ou plusieurs fillettes.
Dans la première nouvelle, tandis que Staline se meurt, Aaron l’arrière-grand-père de Lilia en fait autant de son côté et la gamine juive est persécutée par un jeune voisin. La Varicelle, est le seul texte de ce recueil à m’avoir séduit. On y suit des petites filles ayant des jeux de leur âge, comme se déguiser avec des vêtements d’adultes trouvés dans une vieille malle et jouer au papa et à la maman. Une découverte de la sensualité, mystérieuse pour la plupart d’entre elles. La dernière nouvelle qui donne son titre au livre, fait appel aux souvenirs plus ou moins bien mémorisés d’une enfant où il est question de mendiants ou de gens pauvres à qui l’on offre un peu de chaleur et de nourriture…
Un livre minuscule, parfaitement écrit et très charmant j’en conviens, mais ça s’arrête là. Et je m’interroge, est-ce que la nouvelle est le format adéquat pour cette écrivaine ? Il me semble que la longueur se prête mieux à son style d’écriture où le lecteur doit lentement se laisser engloutir pour y trouver ses repères…
« « Tu n’as qu’à demander à Lilia comment ça s’appelle ! Elle sait tout. » Gaïka serrant la poupée contre son cœur, se dirigea vers la cuisine. Lilia était perchée sur son tabouret, elle avait changé de jambe, si bien que c’était maintenant la jambe nue qui se balançait dans le vide, et ses pupilles couraient sur les lignes à toutes allures. « Lilia ! dit Gaïka en lui touchant l’épaule. Dis-moi, mais pour de vrai, hein ? Comment ça s’appelle, ce qu’on fait pour avoir des enfants ? Lilia leva un regard distrait, réfléchit un instant, et dit avec le plus grand sérieux, d’une voix un peu enrouée : « Le cosinus ! » et elle se replongea dans son livre. Sa grand-mère lui avait tout expliqué honnêtement, de façon scientifique, l’année dernière. » [La varicelle]
Ludmila Oulitskaïa La Soupe d’orge perlé et autres nouvelles Folio
Traduit du russe par Sophie Benech
03/10/2019 | Lien permanent | Commentaires (2)
Mikhaïl Tarkovski : Le Temps gelé
Mikhaïl Tarkovski est né en 1958 à Moscou. Il est le petit-fils du poète Arseni Tarkovski et le neveu du célèbre cinéaste Andreï Tarkovski. Après des études de géographie et de biologie, il part en expédition avec des zoologues dans la région de Krasnoïarsk, où il décide de s’installer définitivement. En 1986, il suit les cours par correspondance de la faculté de littérature Gorki. Il commence par écrire de la poésie, puis des récits en prose et se consacre aujourd’hui à la littérature.
Le Temps gelé, qui vient de paraître, est un recueil de récits se déroulant en Sibérie dans le village de Bakhta, situé au bord de la Bakhta, un affluent de l’Ienisseï, le plus grand fleuve russe. C’est ici, dans la région de Krasnoïarsk, que l’écrivain s’est installé depuis une trentaine d’années. Il y connait donc bien la région et ses occupants.
En huit petits textes, Mikhaïl Tarkovski nous plonge dans cet univers clos mais fait de grands espaces où la rudesse du climat (l’hiver les températures font des chutes abyssales sous le zéro) est contrebalancée par la chaleur et l’humanité de ses habitants. Des personnages sympathiques comme tiota Nadia la mémé qui zézaie ou Nicolaï qui ne peut plus chasser et « sentait de tout son cœur usé qu’il perdait quelque chose d’essentiel, de vital. » Ici, être chasseur c’est être trappeur en quête de peaux d’écureuils ou de zibelines revendues au comptoir.
Les animaux, la chasse et la pêche, la neige et la glace, et ce fleuve, commun à tous, colonne vertébrale et repère puissant, symbole de liberté. Une liberté chèrement acquise car peu de femmes supportent cette solitude et cet éloignement de la civilisation. Tant pis, on boira un bon coup avec les copains et la vie reprendra son cours, car « Tout le monde il boit, tout le monde il est content. C’est pas le bonheur, ça ? » Mikhaïl Tarkovski est attaché à sa cabane, « j’aime ma cabane, et tout ce que j’y ai vécu, tout ce que j’y ai pensé », ainsi qu’à la taïga, « ce monde que l’on peut encore ordonner de ses propres mains. »
Les récits sont complétés en fin d’ouvrage par une postface (biographique et hommage à sa grand-mère), un glossaire des termes locaux et de cartes.
Pour conclure on peut dire que c’est surtout bien écrit et que le lecteur passe un moment agréable et rafraichissant (sic !)… mais sans plus.
« Par la porte entrebâillée Vaska voyait son partenaire assis devant le feu, son visage rouge aux joues tombantes, son chien Sery, qui était allongé à côté de lui, auquel Nikolaï disait quelque chose en grattant à travers sa fourrure le petit pli qu’il avait sur le front. Vaska savait que Nikolaï ne lui en voulait pas le moins du monde de sa jeunesse, et qu’il n’y avait pas de mots pour dire le flot de confiance et d’affection qui circulait de l’un à l’autre par l’entremise du chien qui somnolait. »
Mikhaïl Tarkovski Le Temps gelé Verdier – 143 pages –
Traduit du russe par Catherine Perrel
28/03/2018 | Lien permanent
Jean-Bernard Pouy : Larchmütz 5632
Jean-Bernard Pouy, né en 1946 à Paris, est un écrivain de romans noirs et un directeur de collections littéraires. Il est notamment le créateur du personnage du Poulpe, aux éditions Baleine dont il est l’un des fondateurs. Auteur d’une ribambelle d’ouvrages, Larchmütz 5632, date de 1999.
Depuis vingt-cinq ans, Benno et Adrien vivent au cœur de la Bretagne dans un corps de ferme délabrée baptisée Larchmütz, en compagnie d’une vache, matricule 5632, mais que Benno appelle affectueusement Momone. A l’abri des regards et de la curiosité, ils attendent, ils attendent que l’Orga leur fasse signe et les réveille. Anciens membres d’un groupe révolutionnaire, mis en sommeil en province, ils guettent le signal qui ranimera le commando en vue du Grand Soir. Signal qui finit par arriver et les entraine vers l’inéluctable…
Tous les bouquins de Jean-Bernard Pouy que j’ai lus ont un point commun, ils me ramènent tous en arrière, les temps jadis d’une autre époque. Ce roman par exemple, me rappelle ces années où sévissaient des groupuscules armés menant des actions politiques contre le Grand Capital ou l’Impérialisme Américain, fomentant des actions sensées déclencher la Révolution tant espérée… blablabla… On pourrait trouver tout cela bien puéril aujourd’hui, s’il n’y avait eu ces morts pour rien.
C’est donc dans ce contexte que se déroule ce roman. Benno et Adrien, retrouvent les réflexes de la clandestinité, réalisent les quelques missions secondaires qu’on leur confie secrètement puis finissant par se sentir « manipuler » vont tenter de redistribuer les cartes. Comme toujours chez Pouy l’intrigue n’est pas trop carrée mais elle se tient gentiment.
Les livres de l’écrivain ne sont pas pour tout le monde à mon avis, ils ne s’adressent qu’aux vieux lecteurs dans mon genre. D’abord parce que leurs intrigues nous renvoient dans un passé dont il faut connaitre les codes, politiques ou sociaux d’alors, et que les références et le vocabulaire sont datés. Bref un roman qui sent la naphtaline mais ça ne déplait pas à mon nez. J’ajouterai pour ceux qui voudraient néanmoins se laisser tenter, que l’auteur introduit dans son livre une touche de poésie avec une idée singulière, Momone la vache est télépathe !
Un roman délicieusement rétro, à l’écriture d’une grande douceur, sans violence ni sexe explicite, pour un bon et très court moment de lecture.
« - (…) Le monde a changé. Les mecs et les nanas d’Action Directe pourrissent en taule. L’ex-armée secrète mao a abandonné un combat auquel elle ne croit plus depuis longtemps. Le FLB s’est noyé dans le biniou. Les Basques dérivent, mal. Les Corses, n’en parlons même pas. Nos idéologues d’avant font de la politique ou de la littérature. Et nous, deux pauvres couillons, vingt-cinq après, on repique au jus. On est hors classe, hors âge. Comme des samouraïs dans un film de kung-fu à la con. La seule différence, c’est que personne, mais alors personne ne peut croire qu’il y a, dans Paris, deux types qui reprennent ce genre de guerre de Cent Ans. Avec des flingues dans la poche et de la dynamite dans le coffre. »
Jean-Bernard Pouy Larchmütz 5632 Gallimard Série Noire – 199 pages –
17/08/2018 | Lien permanent