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Olga Tokarczuk : Histoires bizarroïdes

Olga Tokarczuk, KafkaOlga Nawoja Tokarczuk, née en 1962, est une femme de lettres polonaise. Elle a étudié la psychologie à l'université de Varsovie tout en travaillant bénévolement avec des personnes souffrant de troubles mentaux. Ses études achevées, elle devient psychothérapeute. C’est à partir de 1997 qu’elle se consacre entièrement à l’écriture. Elle obtient le prix Nobel de littérature 2018. Recueil de nouvelles, Histoires bizarroïdes, vient de paraître.   

Voici un titre d’ouvrage qui ne ment pas sur son contenu, des histoires parfois tellement étranges que j’avoue ne pas être certains de les avoir comprises, ou pour être plus précis, pas certain d’en avoir saisi le sens caché. En supposant qu’un sens caché existe ?

Les dix nouvelles ne présentent pas d’unité de temps, l’une se déroule à l’époque de Descartes, d’autres aujourd’hui ou presque, certaines dans un futur hypothétique. Nulle unité de lieu non plus, la Pologne, la Suisse, la Chine ou encore je ne sais où ?

Le lecteur croisera un enfant qui fait des cauchemars, deux enfants sauvages aux mystérieux pouvoirs, un vieux fils flemmard qui enterre sa mère et se retrouve à la tête d’une multitude de bocaux de conserves, une famille d’androïdes féminines, un professeur venu dans une ville étrangère pour une conférence et pris dans un imbroglio dramatique à la Kafka, un greffé du cœur soudain animé de pulsions étranges, d’une femme âgée optant non pas pour une euthanasie mais pour une réincarnation en un animal, des religieuses qui chouchoutent une momie dans leur couvent ou encore une sorte d’idole rabougrie en fin de vie mais rafistolée à la va comme je te pousse par une poignée de notables pour la montrer au monde entier…

Ces textes sont extrêmement bien écrits (Nobel oblige !) donc le bouquin est fréquentable. Les histoires sont racontées comme s’il s’agissait de machins ordinaires avant qu’un détail ne vienne surprendre ou perdre le lecteur, il se croyait au présent mais il s’agit d’une dystopie, ou il pensait avoir à faire avec des humains, mais non ! Etc. Le récit est souvent sans reliefs narratifs mais le fond est souvent intéressant et si je l’ai dit, je ne suis pas sûr d’avoir tout capté, toutes ces nouvelles semblent nimbées d’un je ne sais quoi d’angoissant, voire d’apocalyptique en résonnance avec nos problèmes écologiques.

Bizarre, vous avez dit bizarre ?

 

 « Monodikos était arrivé quand tous avaient le plus grand besoin de lui, quand la catastrophe du plastique avait détruit non seulement les maisons, les usines et les hôpitaux, mais aussi remis en cause certaines conceptions. La guerre avait ensuite complété l’œuvre de destruction. Quand les satellites tombaient, ils étaient comme des obus, des poignards lancés sur la Terre. Les gens oubliaient certains mots, et lorsqu’ils faisaient défaut, on ne pouvait pas s’en servir, ni donc décrire telle ou telle part du monde, qui sombrait alors dans le néant. Et puisqu’il était impossible de la décrire, on ne pensait plus à elle. Comme on ne pensait pas à elle, on l’oubliait. Simple exercice d’inexistence. »

 

Olga Tokarczuk, KafkaOlga Tokarczuk   Histoires bizarroïdes   Editions Noir sur Blanc  - 182 pages –

Traduit du polonais par Maryla Laurent

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Léon Bloy : Histoires désobligeantes

léon bloyLéon Bloy (1846 – 1917), est un romancier et essayiste français, polémiste célèbre. Sans trop entrer dans le détail de sa biographie, juste cet épisode marquant qui donne une bonne idée du personnage : En 1877 il perd ses parents, effectue une retraite à la Grande Trappe de Soligny, la première d'une série de vaines tentatives de vie monastique, et rencontre Anne-Marie Roulé, prostituée occasionnelle, qu'il recueille, et convertit, en 1878. Rapidement, la passion que vivent Bloy et la jeune femme se meut en une aventure mystique, accompagnée de visions, de pressentiments apocalyptiques et d'une misère absolue puisque Bloy a démissionné de son poste à la Compagnie des chemins de fer du Nord. Cet épisode de sa vie se traduira dans son roman le plus célèbre, Le Désespéré.

Le dernier ouvrage de Léon Bloy que j’avais chroniqué était particulièrement dur, ici avec ces Histoires désobligeantes, un recueil de 31 nouvelles extrêmement courtes paru en 1894, le ton est tout autre, amusant de prime abord mais entendons-nous, il s’agit d’humour noir ou provocateur.

Quelques exemples du contenu de ce recueil : Un fils surprend par hasard la confession de sa mère à un prêtre et l’histoire se termine mal (La Tisane) ; Un dentiste amoureux tue son rival puis épouse la belle mais la jalousie le ronge et quand leur vient un enfant difforme ressemblant au mort, c’en est trop… (Terrible châtiment d’un dentiste) ; Dans Le Frôleur compatissant un homme prend son plaisir « de toucher à peine, de palper infiniment peu » ; Ailleurs un cocu se venge de ses « amis » en les invitant à manger la galette où il a incorporé le cœur de sa femme défunte ! (La Fève) ; Enfin on notera que c’est dans Le Téléphone de Calypso qu’il est fait mention de la première conversation téléphonique de la littérature française.   

Tous ces textes au-delà de leur humour (« Il était si chaste qu’il eût condamné la jupe des zouaves ») tissent une critique plus ou moins apparente des mœurs et de la bien-pensance de la bourgeoisie de son époque. Des fables acides débutant gentiment pour s’achever brutalement.

L’écriture est particulièrement soignée, empreinte du style caractéristique du début du XXème siècle, éblouissante dans son délié digne des orateurs de talent où les mots rares se sentent à leur aise (« une bouchère hispide », « non moins albe et lactescent que le nitide manteau des anges ») en compagnie de nombreuses références littéraires.

Pas mal du tout.

 

« Il est malheureusement indiscutable que la pauvreté contamine la brillante face du monde, et il est tout à fait fâcheux que les dames pleines de parfums soient si souvent exposées à rencontrer de petits enfants qui crèvent de faim. Je sais bien qu’il y a la ressource de ne pas les voir. Mais on sent tout de même qu’ils existent ; on entend leurs supplications inharmonieuses, on risque même d’attraper un peu de vermine, — vous savez bien, mesdames, cette ignoble vermine pédiculaire qui « ne se laisse pas caresser aussi volontiers que l’éléphant », comme disait notre grand poète Maldoror, et qui abandonne elle-même de bon cœur le nécessiteux pour se fourrer dans les manchons ou les pelisses d’un inestimable prix. Tout cela me plonge dans une affliction très amère, et j’applaudis avec du délire à la haute idée d’une immolation générale des indigents. » [Propos digestifs]

 

 

 

léon bloyLéon Bloy   Histoires désobligeantes   Imprimé par Amazon  - 107 pages -     

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Annie Proulx : Nouvelles histoires du Wyoming

Proulx Livre 22312407_4066313.jpgAnnie Proulx est née en 1935 dans le Connecticut et a reçu le prix Pulitzer en 1994. C’est en adaptant une de ses nouvelles que le cinéaste Ang Lee a réalisé le film Brokeback Mountains en 2005. La dame vous est maintenant un peu plus familière.

Avec Nouvelles histoires du Wyoming nous sommes au cœur de l’Ouest américain à travers onze récits dont l’action se déroule autour d’Elk Tooth, un bled perdu mais dans une région que l’écrivaine connaît bien puisqu’elle y vit désormais. Les décors vous les connaissez par les westerns, de grandes plaines, des sommets rocheux et dentelés, des ranchs et des troupeaux de vaches. Sur cette toile de fond Annie Proulx dresse le portrait d’hommes et de femmes quelconques qui sont eux aussi l’Amérique d’aujourd’hui. Des gardes-chasse, une jeune femme qui retrouve ses racines Indiennes, un camionneur. Il est aussi question d’un concours de la barbe la plus longue et d’une courte passion pour les bains chauds qui redonne un peu de vie à Elk Tooth, où les langues trouvent matière à se délier pour les piliers du PeeWee, le Silvertip ou le Mudd’s Hole, les trois bars du coin.

La guerre du VietNam a laissé des traces encore tangibles, les fermiers deviennent une race en voie de disparition au profit des spéculateurs qui tablent sur de probables bénéfices dus au pétrole. Un monde parallèle se construit, fait de faubourgs où stationnent des caravanes décaties, peuplées de soiffards brutaux et pères de familles nombreuses, où des gamins de moins de dix ans biberonnent des canettes de bière sous l‘œil éteint de leurs mères. Mais attention il y a aussi des nouvelles pleines d’humour ou teintées de fantastique.

Le style d’Annie Proulx est plutôt laconique, parfois abrupte même, ce qui en fait un livre très facile à lire. A petites touches elle nous décrit une Amérique, son Amérique. 

 

« Peu de temps après, sa mère commença a décliner. Elle le regardait et disait : « Où est donc Gilbert ? En train de jouer dehors, je parie. Je veux qu’il remplisse la caisse de bois à brûler. » Plus tard elle lui disait : »Tu devras te débrouiller tout seul pour le dîner. Je ne peux pas cuisiner sans bois. » Gilbert se sentait une pointe de remords : quand il était gosse il avait échappé souvent à la corvée de bois. Elle lui demandait souvent si le facteur était passé jusqu’au jour où Gilbert, exaspéré, lui dit : »Tu attends une lettre du président ou quoi ? ». Elle avait secoué la tête mais n’avait rien répondu. »  

 

Proulx images.jpgAnnie Proulx  Nouvelles histoires du Wyoming  Livre de Poche

 

 

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16/10/2012 | Lien permanent

Charles Dickens : Histoires de fantômes

charles dickensCharles John Huffam Dickens (1812-1870) est considéré comme le plus grand romancier de l'époque victorienne. Dès ses premiers écrits, il est devenu immensément célèbre, sa popularité ne cessant de croître au fil de ses publications. L'expérience marquante de son enfance, que certains considèrent comme la clef de son génie, a été, peu avant l'incarcération de son père pour dettes, son embauche à douze ans chez Warren où il a collé des étiquettes sur des pots de cirage pendant plus d'une année. Bien qu'il soit retourné presque trois ans à l'école, son éducation est restée sommaire et sa grande culture est essentiellement due à ses efforts personnels. Il a composé quinze romans majeurs, cinq livres de moindre envergure, des centaines de nouvelles et d'articles portant sur des sujets littéraires ou de société. Sa passion pour le théâtre l'a poussé à écrire et mettre en scène des pièces, jouer la comédie et faire des lectures publiques de ses œuvres qui, lors de tournées souvent harassantes, sont vite devenues extrêmement populaires en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

Histoires de fantômes est un recueil de dix nouvelles écrites entre 1840 et 1866. La présente édition vient tout juste de paraître dans une nouvelle traduction complétée d’un important dossier de notes et notices très instructives.

Je ne vais pas entrer dans le détail de chacun de ces textes mais sachez que vous y trouverez des revenants, des esprits-frappeurs, des prémonitions dramatiques qui se réaliseront, des cadavres enterrés qui confondent leurs meurtriers, des rats diaboliques, bref toute la panoplie des effets d’épouvante qui réjouissent le lecteur amateur du genre. Et quand c’est écrit avec le talent de Dickens comment ne pas succomber. Je préciserai quand même que tous les textes ne sont pas du même niveau pour mon goût personnel.

Fantômes de Noël permet à l’auteur de nous proposer une étude sur les différentes sortes de fantômes, avec Esprits frappeurs authentiques de manier le comique absurde (« Question : Vous vous appelez Pâté de porc ? Réponse : Oui. Question : Et… est-ce que vous ne seriez pas par hasard… du pâté de porc ? Réponse : Si ») et l’humour gras (« Une étrange sensation intestinale, proche du lâcher de pigeons, s’empara de l’écrivain. ») car l’auteur écrit au second degré, genre pastiche. Dickens n’oublie pas de glisser dans certaines nouvelles des observations sociales ou des considérations sur la cause féministe (La Maison hantée) et le lecteur familier des romans victoriens gothiques se réjouira de retrouver ce type de décors, « …une demeure fort ancienne, pleine d’immenses cheminées où les bûches flambent sur de vieux chenets. Pendus aux lambris de chêne habillant les murs, de sinistres portraits (associés, pour certains, à de sinistres légendes…) nous surveillent d’un air méfiant. »

J’ai beaucoup aimé ce petit bouquin dans lequel on piochera, selon son humeur, telle ou telle histoire pour délicieusement frissonner avant d’aller se coucher. 

 

« Effleurant le bras du juré assis juste à côté de moi, je lui demandai à voix basse : « Auriez-vous l’obligeance de compter les jurés présents ? » Il eut l’air surpris par ma demande mais tourna la tête et se mit à compter : « Mais… » fit-il brusquement, « nous sommes trei… Non, c’est impossible… Mais non, nous sommes douze. » Selon mes décomptes ce jour-là, nous étions toujours le bon nombre pris un à un, mais lorsque l’on recomptait l’ensemble des présents, il y en avait toujours un de plus. Aucune vision, aucune apparition ne permettait d’expliquer cela, mais le pressentiment montait en moi que l’apparition allait à coup sûr se présenter. » [Le procès pour meurtre]

 

 

charles dickensCharles Dickens  Histoires de fantômes  Folio – 264 pages –

Traduction nouvelle et édition d’Isabelle Gadoin 

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19/10/2016 | Lien permanent

Salman Rushdie : Haroun et la mer des histoires

salman rushdie, Sir Ahmed Salman Rushdie, né en 1947 à Bombay, est un écrivain américano-britannique d'origine indienne. Objet en 1989 d'une fatwa de l'ayatollah Khomeini suite à la publication de son roman Les Versets sataniques, il est devenu un symbole de la lutte pour la liberté d'expression et contre l'obscurantisme religieux, principalement dans les médias occidentaux. Depuis la publication de cette fatwa, exigeant sa mise à mort, il fait l'objet d'une protection policière renforcée et utilise des pseudonymes. Cette protection est réduite au fil des ans, jusqu'au retrait de ses gardes du corps. Le 12 août 2022, il est poignardé et grièvement blessé aux Etats-Unis. L'agression lui laisse de graves séquelles mais il continue à écrire.

Haroun et la mer des histoires paru en 1990 a été écrit par l’auteur pour son fils âgé d’une dizaine d’années peu après la fatwa qui réclamait son exécution, on peut donc le classer dans les romans pour la jeunesse.

Dans un pays imaginaire. Rachid Khalifa est un conteur d’histoires joyeuses jusqu’à ce jour fatidique où il perd toute inspiration alors qu’il devait intervenir lors d’un meeting électoral. Son jeune fils Haroun va s’employer à lui faire retrouver son don momentanément perdu à travers un long voyage…

Et Salman Rushdie de nous entrainer dans une fable étourdissante, une explosion d’inventivité et d’humour. Il y a dans ce récit l’exotisme des contes orientaux et le nonsense d’Alice au pays des merveilles.

Les histoires sont un long fleuve tranquille dont la source est au milieu de l’océan en temps normal mais aujourd’hui le Maitre du Culte, un despote (Khomeini ?) a décidé d’empoisonner cette source pour éradiquer toutes les histoires et asseoir son pouvoir, lui qui « coud les lèvres », « prépare la destruction de l’Océan des Courants d’Histoires ». Haroun aura fort à faire au milieu d’êtres très étranges, « oiseaux à tête de serpent et à queue de paon, des poissons volants, des oiseaux-chiens », certains sont sympas d’autres non. A ses côtés pour l’aider, Mmais la huppe, une machine ressemblant à un oiseau qui le transportera sur son dos ou bien Mali le jardinier flottant etc.

Le court roman mène un train d’enfer, ça fuse et ça surprend à chaque ligne et bien entendu la fin est heureuse. Un conte pour les enfants certes mais écrit juste après la publication de la fatwa condamnant à mort l’écrivain pour avoir écrit Les Versets sataniques, difficile de ne pas y voir une défense de la liberté d’imaginer et d’écrire.

 

« Mes ennemis engagent des types médiocres qui bourrent les oreilles du peuple ignorant de vilaines histoires sur mon compte et le peuple ignorant gobe ça comme du petit lait. C’est pour cette raison que je me suis adressé à vous, éloquent monsieur Rachid. Vous allez raconter des histoires heureuses, qui dégagent de la bonne humeur et le peuple vous croira, il sera heureux, et il votera pour moi. »

 

 

salman rushdie, Salman Rushdie   Haroun et la mer des histoires   Folio  - 228 pages -    

Traduit de l’anglais par Jean-Michel Desbuis

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Alberto Manguel : Une histoire de la lecture

alberto manguel, Alberto Manguel est un écrivain né en 1948 à Buenos Aires en Argentine. Il a grandi en Israël où son père était ambassadeur puis a vécu dans de nombreux pays dont vingt ans à Toronto, obtenant la nationalité canadienne en 1985. Depuis 2001 il vit en France, dans un village du Poitou. Journaliste (presse, radio, télévision), il a publié de nombreuses anthologies, des romans, des traductions et des essais. Une histoire de la lecture, un essai, est paru en 1998.

Comme le titre de cet essai l’indique, il s’agit « d’une » histoire de la lecture avec sa part de subjectivité voulue par l’auteur. D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement puisque Manguel va nous entraîner dans un incroyable périple à travers le temps et les lieux, de la Grèce antique aux Amériques, d’Aristote et même avant à Hemingway et même après. Pour mener à bien son projet – qui peut paraître impossible – il n’a pas choisi la chronologie mais une approche thématique dont voici quelques titres de chapitres : Lire en silence, La forme du livre, Lecture privée, Lire en lieu clos, Le fou de livres… Et déjà le lecteur compulsif se sent visé, ce qui implique ce constat évident, tout lecteur de cet essai s’y reconnaitra, tout ou partie.

La lecture est parfois ardue, non pas due au style très clair mais aux références citées, à l’érudition d’Alberto Manguel qui chemine aux côtés de celle d’un Umberto Eco, convoquant pour étayer son propos aussi bien le physicien et philosophe égyptien du XIIIe siècle Alhazen que Théodose Ier empereur byzantin. Pour faire simple, si la période pré-Gutenberg peut être complexe parfois, après nous retrouvons nos marques et c’est le plus souvent le cas.

Le plus réjouissant dans cet ouvrage, c’est que non seulement on y apprend énormément, aspect instructif de cet essai, mais que certains passages semblent écrits spécialement pour chaque lecteur qui y lira noir sur blanc, ce qu’il pouvait croire jusque là être une particularité très intime de sa personnalité, à savoir que le plaisir de la lecture découle d’un certain confort, qu’on peut préférer lire au lit, que se débarrasser de vieux livres nous coûte etc. Tous ces aspects rituels sont abordés ici et nous rapprochent les uns des autres, nous lecteurs qui nous pensons seuls quand nous sommes plongés dans nos bouquins.

Si cette histoire de la lecture ne manque pas d’érudition et de références savantes, Alberto Manguel sait y semer également des anecdotes souriantes aussi bien historiques avec le comte Libri (décédé en 1869) voleur de livres rares ou Anthony Comstock (né en 1844) qui fit carrière dans la censure en Amérique, que personnelles quand il nous révèle que encore jeune homme en Argentine il fit la lecture à Borges le célèbre écrivain devenu aveugle.

Un essai qui a obligatoirement sa place dans toutes nos bibliothèques.     

 

« Nous lisons intellectuellement à un niveau superficiel, en saisissant certaines significations, et prenant conscience de certains faits, mais en même temps, de manière invisible, inconsciente, le texte et le lecteur s’entremêlent, créant d’autres niveaux de sens, de sorte que chaque fois que nous obtenons du texte qu’il nous cède quelque chose que nous ingérons, une autre chose naît simultanément en dessous, que nous n’avons pas encore saisie. C’est pourquoi – comme le pensait Whitman, qui recomposait et corrigeait sans cesse ses poèmes – aucune lecture ne peut jamais être définitive. » 

 

 

alberto manguel, Alberto Manguel  Une histoire de la lecture  Actes Sud

Traduit de l’anglais par Christine Le Bœuf

 

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Steve Stern : La Fabuleuse histoire du clan Kabakoff

steve sternSteve Stern est un écrivain américain né en 1947 à Memphis (Tennessee). Après avoir suivi des ateliers d’écriture à l’Université de l’Arkansas, il s'est installé dans une communauté hippie dans le Missouri puis est parti vivre à Londres. De retour à Memphis, il se consacre à l’étude de la culture yiddish qui deviendra sa principale source d’inspiration. Il publie en 1983 son premier roman suivi d’autres, primés aux Etats-Unis. Il est aujourd’hui professeur d’anglais à Saratoga Springs (Etat de New York). Le Rabbin congelé publié en 2012 est le premier livre de Steve Stern traduit en français. Son roman, La Fabuleuse histoire du clan Kabakoff, tiré d’un recueil (A Plague of Dreamers) datant de 1994 vient de paraître chez nous.

Chronique d’une famille juive de Memphis, La Fabuleuse histoire du clan Kabakoff, s’étale sur trois générations entre la fin du XIXème siècle et 1968. Il y a Yankel, le grand-père venu d’Ukraine s’installer aux Etats-Unis, toujours plongé dans ses livres et la Torah, laissant sa femme Tillie s’occuper du Grand Bazar Kabakoff, une boutique vieillotte « où Tillie jouait autant le rôle de patronne que celui de conservatrice de musée » vendant tout et n’importe quoi. Le père, Mose, lui est un entrepreneur actif sachant faire fructifier une affaire et puis il y a son fils Itchy, laid mais séducteur, sorte de vilain petit canard de la famille, qui s’en exclura pour devenir membre d’une troupe de cirque ambulant comme dans le film Freaks (Tod Browning 1932).

Steve Stern a beau se démener, j’ai eu du mal à m’intéresser à cette saga emberlificotée racontée à rebrousse-temps, partant du petit-fils pour remonter à l’époque du grand-père. Les personnages ne manquent pas, outre ceux cités, et le reste de la famille ne manque pas de couleurs, les oncles Joseph et Enoch, la tante Lailah, comme les membres de la troupe de monstres, réels ou prétendus, travaillant pour le cirque. Ajoutez-y une légère dose de fantastique avec des personnages dont les silhouettes deviennent floues jusqu’à disparaitre (on pense à Harry dans tous ses états de Woody Allen) ou bien Lailah finissant par se plaindre à Itchy, « tu crois vraiment que c’est un métier pour une goule ? »   

Si ce roman ne m’a pas accroché, la raison en est je pense, au fait qu’il me manque certainement des clés. Tout du long de ma lecture, j’ai eu l’intuition que l’écrivain utilisait tout un matériau provenant de sa culture yiddish, fait de textes religieux et de légendes, dont il exploitait les thèmes à sa sauce pour en faire son roman. De plus, l’abus de mots yiddish expliqués par des notes en bas de page, m’a paru lourd et inopportun dans la majorité des cas.

Une fois encore - mais combien de roman tombent dans ce travers ? – je déplore le commentaire de quatrième de couverture annonçant « une aussi phénoménale drôlerie ». Certes Steve Stern penche plus du côté de Woody Allen que de la Shoah, mais de là à en exagérer le mince sourire qui parfois m’est venu aux lèvres, il y a un fossé.

Seule la dernière partie du roman, en gros les cinquante dernières pages, a éveillé mon intérêt quand la parabole se révèle, une histoire en boucle où Mose le père, revient au foyer en 1968 tout comme Itchy, son fils l’avait fait quatre ans plus tôt. Un livre comme un palimpseste, où l’Histoire s’écrit sur l’effacement du texte écrit précédemment.     

 

« Au bout du compte, tous les livres qu’il connaissait par cœur étaient devenus dans l’esprit de Yankel un seul et unique Livre, contenant toutes les histoires y compris la sienne. Et il aimait se dire que le Livre portait pour lui le fardeau du souvenir ; cela lui permettait de se sentir plus libre et de ne pas percevoir comme un lieu d’exil l’endroit où, pour le moment, il se trouvait. »

 

 

steve sternSteve Stern  La Fabuleuse histoire du clan Kabakoff  Editions Autrement

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Brévignon

 

 

 

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23/09/2013 | Lien permanent

Jean-Dominique Brignoli : Paris en histoires

Paris en Histoires.jpgUne fois encore j’ai été contacté pour donner mon avis sur un ouvrage, à cette différence aujourd’hui, qu’il ne s’agit pas d’un bouquin de fiction, roman ou nouvelles, mais d’une compilation de ces petites histoires qui font la grande Histoire. De plus, ce livre n’est pas que cet objet familier qui nous est cher ici, il s’inscrit aussi dans un projet plus vaste car il est le cœur d’un site Internet.

Si Jean-Dominique Brignoli est crédité auteur du recueil, il est en fait comme il le dit dans son introduction, le « collecteur en chef ». L’idée, c’est de construire un site Internet et une application pour Smartphone, permettant à chacun, soit par son ordinateur, soit au cours de ses promenades, de s’instruire en s’amusant en découvrant se qui se cache derrière les monuments et lieux de la capitale. Nous parlons de Paris, parce que l’aventure débute et qu’il faut toujours commencer par quelque chose, mais ce Brignoli et ses copains voient certainement plus loin, dans leurs rêves les plus fous ils s’imaginent certainement cartographier le monde entier et accoler à chaque monuments ou sites remarquables, explications et anecdotes dont se régaleront les routards en vadrouille. De petits futés en sommes.   

La première question que le lecteur se pose, c’est quelle crédibilité puis-je accorder à ce que je lis ? Alors sachez que Jean-Dominique Brignoli est docteur en histoire de l’art et archéologue, qu’il a à ses côtés, des diplômés en histoire. Nous voilà rassurés, jusqu’à preuve du contraire, sur la véracité des textes inclus dans l’ouvrage.

Le livre en lui-même est chapitré par quartiers de la ville, de Notre-Dame et l’île de la Cité à la place Vendôme en passant par le Marais ou le Quartier Latin, onze secteurs sont recensés. Pour chacune de ces zones, une carte les situe et le bouquin contient une petite soixantaine d’anecdotes ou histoires dont les sources bibliographiques sont listées en fin d’ouvrage.

Selon vos connaissances en Histoire, certaines vous seront familières, d’autres inédites, mais toutes ont un point commun, elles sont très bien racontées.

Ce livre est à cette heure, le contenu rédactionnel du site Internet et il vous permet très rapidement et concrètement de vous faire une idée du projet qui se monte. Bien entendu et l’auteur le reconnaît, sa petite équipe ne pourra pas seule, construire le monstrueux édifice dont rêve ses concepteurs. Ils vous proposent donc, d’être vous aussi les petites mains anonymes qui participeront à cette belle histoire, théoriquement sans fin. C’est pourquoi je vous invite fortement à aller faire un tour à leur adresse sur le Web, tout y est très bien expliqué et vous pourrez apprécier leurs notules historiques ; vous pouvez aussi, parallèlement, acheter le bouquin. C’est vous qui voyez.

L’Histoire est en marche, l’idéal pour les promeneurs urbains.    

 

Jean-Dominique Brignoli  Paris en histoires  En vente sur Amazon (format Kindle)

Quand au site vous le trouverez à cette adresse : http://www.uponamap.com/

 

 

 

 

 

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Marc Lefrançois : Histoires insolites des écrivains et de la littérature

Marc LefrançoisMarc Lefrançois est né en 1973 à Angers. Après des études de lettres et une période passée dans l’enseignement, il décide de se consacrer entièrement à l’écriture. Auteur de plusieurs ouvrages dont plusieurs Histoires insolites de…, c’est en 2013 qu’est paru Histoires insolites des écrivains et de la littérature.

Comme son titre le suggère, cet ouvrage se propose de nous faire découvrir des anecdotes insolites impliquant des écrivains ou la littérature mondiale à travers les âges, comme par exemple que Gérard de Nerval était tellement dérangé qu’il fut surpris en train de promener un homard en laisse. Que, sentant la mort arriver, Flaubert s’exclama : « Je vais mourir et cette pute de Bovary va vivre ! » Qu’il est arrivé à Paul Claudel de recopier cinquante fois certains ses manuscrits pour les vendre comme des autographes originaux. Que Cocteau surprit Gide dans une chambre d’hôtel avec un jeune liftier agenouillé devant lui et, pour s’excuser, bredouilla : « Il me recoud un bouton. »

Le bouquin se présente sous la forme d’un dictionnaire alphabétique aux entrées pas toujours très explicites quand on souhaite y revenir. Et déjà, la déception s’installe. Car franchement, il n’y a pas grand-chose de réellement instructif dans ce livre. Ce qui doit être connu, l’est déjà en général et ce qui ne mérite pas de l’être, occupe la plus large part de ces pages.

Le ton général m’a rappelé l’Almanach Vermot, une anecdote est citée et Marc Lefrançois la conclut par une chute qui se veut drôle : à propos d’un richissime bibliomane anglais, il termine par « Ils n’aimaient que les livres… sterling. » ou bien à propos des écrivains sportifs, « Quant à Proust, il lui restait le soulevé de madeleines. » On est plié de rire ou de gêne pour l’auteur, c’est selon.

La majorité des anecdotes font référence aux gauloiseries et sont particulièrement lourdes voire vulgaires, à la décharge de l’auteur (sic !), il faut reconnaître que de nombreux écrivains étaient de chauds lapins. Certaines historiettes ne m’ont carrément pas semblé crédibles, comme celle où Renoir, Rodin et Proust se retrouvent dans une même loge au théâtre et font tellement preuve de courtoisies pour savoir qui s’assoira le premier, que la pièce se termine avant qu’ils ne se soient mis d’accord. D’autres sont incohérentes, voir p.235, la querelle entre les Anciens et les Modernes. Au milieu de tout cet étalage subsistent néanmoins des informations instructives parfois : savez-vous que la leucoséphobie est la peur de la page blanche, ou bien qu’Emile Verhaeren le poète, mourut écrasé par un train en gare de Rouen, suite à une bousculade entre ses admirateurs ?

Un livre gentillet et souriant, qui ne gagne qu’à être picoré de temps à autre, plus que lu d’une traite, tout en n’étant pas indispensable.  

 

« Beauvoir (Simone de) : Très tôt distinguée pour son intelligence, Simone de Beauvoir se présenta avec un an d’avance au concours de l’agrégation. Plus jeune candidate, elle fut classée seconde derrière un certain Jean-Paul Sartre. Si elle envia quelque temps le lauréat du concours, elle ne lui en tint pas longtemps rigueur, et sa relation avec lui allait bientôt devenir légendaire. Assez peu populaire dans un certain milieu littéraire, elle fut successivement surnommées « la Grande Sartreuse » et « Notre-Dame de Sartre ». Geneviève Dormann a dit d’elle : « Elle se vantait d’avoir appris à écrire en lisant les romans de Delly. Cela se voit tout au long de sa longue et pâteuse production. » »

 

 

Marc LefrançoisMarc Lefrançois  Histoires insolites des écrivains et de la littérature  City Editions – 295 pages –

 

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Peter Handke : Histoire d’enfant

Peter Handke, Marcel ProustPeter Handke, né en 1942, est un écrivain, auteur dramatique, scénariste, réalisateur et traducteur autrichien. Histoire d'enfant, un roman, date de 1981.

Un roman, c’est une histoire et une écriture, ici pour ce qui est du scénario vous repasserez, car plus minimaliste ça n’existe pas, ou alors il faut beaucoup chercher. Le narrateur, vit séparé de sa femme et élève son enfant. Du marmot au gamin de dix ans, nous suivons ces deux-là entre Allemagne et France durant ce laps de temps où une personnalité se dessine.

S’il existe une catégorie « livres intellos » on l’y rangera directement. Intrigue inexistante, ce ne sont que banalités et petits faits de la vie ordinaire, déménagements, ville nouvelle, plus tard école etc. A deux doigts du coma anesthésique après quelques pages à peine, je me suis pourtant étonné de poursuivre ma lecture. Et c’est là un trait étrange ( ?) de ma personnalité, il m’arrive parfois de prendre goût à lire un livre (mais court) dont je ne comprends rien (ou pas grand-chose), juste pour le plaisir de la langue déployée par l’auteur.

L’écriture se complait dans l’hermétisme, on ne sait jamais vraiment très bien ce qui se passe et comme il ne se passe pas grand-chose, le lecteur baigne dans un flou artistique total. Les personnages ne sont pas nommés, le père c’est « l’homme », la mère « la femme » et le gosse « l’enfant », détail significatif ce fameux gamin s’avère être une fille mais on ne l’apprend que subrepticement dans le dernier tiers du roman. Ceci dit, ça n’apporte rien au lecteur sauf s’il sait que le roman fut écrit quand Peter Handke vivait seul à Salzbourg (1979-1988) avec sa fille aînée, enfant qui justement le sortait de cette solitude et l’obligeait à endosser une responsabilité, le thème de ce bouquin si je me fie à ce que j’en ai saisi.

L’homme qui jusque là consacrait sa vie à l’écriture, découvre les joies ( ?) de la paternité et les obligations/occupations qui en découlent. Une autre vie s’ouvre à lui. Lui et les autres, se regardent chacun d’un autre œil, l’enfant l’accapare, ils ne font plus qu’un. Intéressant mais guère développé on s’en doute dans un si court texte, l’enfant élevé dans la double langue allemand/français en tire des attitudes qui déroutent son père, « On pouvait voir que ce qu’on appelle le bilinguisme n’était pas seulement, comme on le disait, un trésor mais qu’il provoquait aussi à la longue un divorce douloureux. »

Le style est ampoulé mais en de rares occasions j’ai cru y déceler la petite musique proustienne (« Et quand enfin la voix d’un enfant du voisinage s’approchait de la maison muette ce bruit était souvent, pour les deux habitants, un soulagement (et même si cet enfant-là avait été l’occasion du chagrin de la veille) »). 

Un livre trop particulier pour que je le recommande à quiconque, chacun fera comme il l’entend. Il est évident que ce n’est pas le genre de lecture que je préfère, pourtant j’ai été hypnotisé par le rythme des phrases et séduit par l’effet apaisant et lénifiant de cette prose étrange. 

 

« Certes il se sentait responsable d’elle et pourtant, secrètement, il croyait toujours savoir qu’ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre, que leur vie en commun était un mensonge, proprement une dérision, comparée aux rêves qu’il avait faits jadis de lui et d’une femme. Parfois même il maudissait en secret cette union comme l’erreur de sa vie. Mais c’est seulement avec l’enfant que cette désunion épisodique devint dissension définitive. De même qu’ils n’avaient jamais vraiment été mari et femme, ils ne furent pas non plus, dès le début, un couple de parents. »

 

Peter Handke, Marcel ProustPeter Handke   Histoire d’enfant   L’Imaginaire Gallimard – 103 pages –

Traduit de l’allemand (Autriche) par Georges-Arthur Goldschmidt 

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