29/05/2025
Sarah Bernstein : Obéissantes et Assassines
Sarah Bernstein, née en 1987 à Montréal, est une écrivaine et universitaire canadienne. Elle a étudié la création littéraire et l’anglais à l’Université Concordia à Montréal avant de déménager au Nouveau-Brunswick où elle a obtenu une maîtrise. Depuis 2013, elle vit dans les Northwest Highlands, en Ecosse. Elle enseigne la littérature et la création littéraire à l’Université de Strathclyde, un emploi qui lui permet de combiner un travail universitaire à l’écriture fictionnelle. Obéissantes et Assassines, qui vient de paraître, a été finaliste du Booker Prize 2023.
La narratrice (anonyme) a été conviée par son frère à s’installer chez lui, sa femme et ses enfants l’ayant abandonné, pour s’occuper de la maison. Elle s’exile donc pour le rejoindre dans ce pays étranger du nord (on ne saura pas où) et cette grande demeure près de la forêt, proche du village. A peine arrivée, son frère s’absente plusieurs jours pour ses affaires et la laisse seule. Si lui s’est bien adapté au village et entretient des liens commerciaux avec les habitants, elle, ne parle pas du tout la langue locale et rapidement nous devinons qu’elle est un peu « spéciale », par exemple, c’est le genre de personne qui met ses bottines avant de mettre sa culotte et son pantalon et fait le chemin inverse pour le déshabillage…
Roman complexe, roman d’ambiance où tout n’est pas obligatoirement compréhensible (du moins pour moi), mais roman néanmoins intéressant et pas mal du tout.
La narratrice sera la seule voix de ce bouquin, le monde qui l’entoure et les faits décrits ne correspondent qu’à sa vision des choses, il faut donc les lire avec beaucoup de circonspection. La première impression qui se dégage du texte, c’est un sentiment de solitude, la maison est isolée, la narratrice est seule dans sa bulle de conscience et quand elle descend au village pour faire des courses, ne pouvant s’exprimer, elle montre du doigt ce qu’elle veut. Néanmoins, cette solitude apparente, n’est pas ressentie par la narratrice car elle a une vie intérieure assez riche, toujours à réfléchir à tout, trop réfléchir même, si vous voulez mon avis !
Sa situation va se gâter quand la région sera frappée par plusieurs malheurs agricoles ou maladies animales, quand les faits et gestes de la nouvelle venue au village seront mal interprétés, en dépit de sa meilleure volonté, par des locaux réticents à la nouveauté et plus encore aux étrangers, elle va passer pour sorcière et la méfiance se renforcera à son égard…
Atmosphère troublante et légèrement mystérieuse, récit qui avance sans qu’aucun fait réellement marquant ou apportant un début d’explication à ce qui se passe ne nous éclaire, pire encore, quand le livre s’achève, le frère est revenu, tombé malade sa sœur s’occupe de lui en éloignant les médecins car peu fiables, sous sa coupe et vulnérable, nous sommes en droit de nous interroger sur son avenir proche ! Bref cette femme est-elle folle ou mentalement retardée (« Un problème en moi, toujours pressenti mais jamais démontré ») ?
Sarah Bernstein a du style, particulier certes mais du style quand même.
Les thèmes les plus évidents abordés par l’écrivaine sont l'isolement et la solitude, la fiabilité du récit entre fiction et réalité, les relations entre frères et sœurs, un peu bizarres ici (!), bizarrerie renforcée par l’emploi excessif du terme « adelphe » [(« Famille) (Rare) Frère ou sœur ; enfant né de mêmes parents. (Rare) (LGBT) Correspond aux sens figurés de frère et sœur, notamment en contexte queer. »] Mais j’ai cru voir un autre thème, signalé nulle part quand j’ai ensuite voulu comprendre ce que j’avais lu, celui des Juifs exilés ne trouvant où s’installer en paix, victimes des préjugés « par rapport à mes origines ethniques, on me choisissait souvent, par exemple, comme trésorière des organisations où j’œuvrais », au point qu’elle en viendra à s’interroger « à quoi bon tout cela puisqu’en dernière analyse, on n’aurait jamais dû survivre ? »
Dernier mystère de cet étrange bouquin, pourquoi ces pluriels dans le titre ?
« J’étais venue dans cet endroit d’où mes ancêtres avaient fui, poussée par ce que je reconnaissais enfin comme un irrépressible désir d’autodestruction, qui n’était rien d’autre que ce que je croyais mériter et, qui plus est, ce à quoi je me croyais destinée, moi, enfant rétive d’un peuple dont le seul mérite intrinsèque était d’avoir survécu. D’avoir persisté. Pendant des lustres, mes aïeux avaient persisté. Et voilà que je rencontrais finalement l’histoire, preuve que ma déférence, que la déférence de quiconque, était la route la plus sûre et la plus rapide vers l’éradication. Elle serait totale. »
Sarah Bernstein Obéissantes et Assassines Editions du sous-sol - 165 pages -
Traduit de l’anglais (Canada) par Catherine Leroux
06:00 Publié dans Etrangers, ROMANS | Tags : sarah bernstein | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |